résident au Wissenschaftkolleg zu Berlin Directeur artistique de la Biennale de musique de Venise
J’ai rencontré le chœur d’enfants Le Chœur des Polysons et sa directrice Elisabeth Trigo en 2022 pour la production de mon œuvre chorale Les paroles gelées, conçue pour ensemble vocal de voix d’hommes, chœur de voix aiguës, chœurs amateurs (jouant également des tuyaux d’orgue) et grand orgue pour la Nouvelle Philharmonie de Paris.
Dès les premières étapes du long processus de répétition, qui a débuté plusieurs mois auparavant, le Chœur des Polysons s’est distingué des autres groupes choraux participants par le sérieux et la sensibilité de sa réalisation musicale. Les jeunes chanteurs ont été capables de concevoir la performance en relation avec les mouvements prescrits et la dramaturgie inspirée de Rabelais, et ont montré au groupe d’adultes comment une expérience de performance difficile peut être vécue grâce à la compréhension du projet et au respect du compositeur.
Les paroles gelées est un projet de dramaturgie sonore conçu pour la Grande Salle de la Nouvelle Philharmonie à Paris. Le Grand Orgue Rieger etait le centre et le point d’appui du projet et ses sons ont été développés, étendus et spatialisés par les voix réparties dans l’espace architectural, chantant et jouant des tuyaux de l’orgue. Le chœur, sous la direction attentive et discrète d’Elisabeth Trigo, est devenu un organisme vocal sensible et métamorphique, capable d’interpréter avec soin et précision la musique de différentes époques, et d’injecter sa propre interprétation dans la partition, ce qui rend chaque représentation passionnante et captivante.
Rabelais décrit l’explosion des paroles glacées donnée par la dissolution progressive de la glace. Les mots, en se dissolvant, restituent une sorte de film sonore : lamentations, cris, explosions des anciens tirs, course des chevaux, fracas des lames. Les mots apparaissent maintenant comme des « dragées perlées de diverses couleurs », des pierres de glace nacrées aux couleurs magiques, prêtes à restituer la vie sonore acoustique d’origine. Les voix du Chœur des Polysons ont représenté les mots éclatés et leur réémergence depuis les temps anciens et ils devaient chercher les mots dans l’espace scénique de la Philharmonie. Dans mon travail, les enfants de la chorale devaient chanter avec différents styles vocaux, avec des expressions vocales allant du quasi-silence à des moments d’explosion vocale, et ils devaient utiliser des voix parlées et chuchotées, en coordination avec les masses chorales des adultes et des solistes.
Au grand étonnement de tous et du directeur du projet, Léo Warynski, le Chœur des Polysons a toujours su intervenir au bon moment et se repérer dans la partition avec un calme et une sérénité qui s’appuient sur le sérieux de la préparation. Pour moi, en tant que compositeur, ce fut une expérience unique et surprenante et je crois que cette réalité française devrait être soutenue pour créer une reconnaissance internationale de leur travail et de l’extraordinaire service qu’ils peuvent rendre à la musique contemporaine.